L'été dernier, mon amie Cassy et moi, on s’est fait une liste des voies qu’on voulait grimper ensemble à Squamish où l’on prévoyait faire des journées Slaydie. L'Oracle (5.12a PG13) à Murrin Park était l'une de ces voies. Ayant entendu parler de sa réputation engagée, on a décidé de commencer par New Life (5.11b) qui fut notre première grimpe ensemble. Tout le monde nous avait prévenues du long mouvement périlleux dans New Life, mais Cassy et moi, on était déterminées à leur prouver tort. Toutefois, après la deuxième longueur, nous avons dû abandonner. Je m’étais foulé les articulations entre la colonne vertébrale et les côtes et Cassy essayait de grimper le crux en s’inversant alors que je m'étouffais de rire. Ma saison était quasi terminée avec cette blessure, et Cassy allait devoir me raconter pour le reste de la saison ses histoires d’aventures autour de ramens et de rendez-vous dans des stationnements de gravier. Une par une, Cassy a coché les voies sur notre liste, et quelques semaines plus tard, elle a flashé l’Oracle (comme la badass qu’elle était).
Malheureusement, Cassy est décédée l’hiver dernier en Argentine. Cassy était un pilier sur lequel on pouvait toujours compter. Pour moi, les ascensions qui se trouvaient sur notre liste étaient parmi les plus intimidantes et les plus effrayantes. C’était comme si je pouvais seulement rêver de les essayer. Et pourtant, son psych et son énergie m'ont permis de me sentir aussi enthousiaste et audacieuse qu'elle. Elle m'a permis (ainsi qu'à beaucoup d'autres) de me sentir vraiment compétente et forte. Son absence continue à se faire profondément sentir, mais on dirait qu'elle continue à nous motiver.
L’hiver passé, l’escalade a été difficile pour moi et j’ai eu plusieurs combats internes. J'ai dû faire face à un deuil et à une grande peur de l'escalade. J'ai fait quelques voyages d'escalade cet hiver-là, et il n'y en a pas un où je n'ai pas pleuré au moins un peu, et la plupart du temps, j'ai pleuré beaucoup. La façon dont l'hiver s'est manifesté dans mon escalade a été difficile à cerner. L'escalade était à la fois un lieu de réconfort, de flow, de bonheur, mais aussi de deuil, de peur et de frustration. Je pensais qu'un grand voyage au printemps me permettrait de retrouver ma motivation. J'ai ainsi acheté le van de mes rêves (merci Ollie!) avec toutes mes économies et je me suis lancée dans un méga roadtrip dans l'ouest. #Vanlife, n'est-ce pas? J'allais me trouver, être une badass bitch indépendante, et me lancer dans des projets tête première, comme Cass. J’étais loin de me douter qu'une semaine après le début de mon voyage, j’allais pleurer en plaçant mes protections et être incapable de grimper au-dessus de celles-ci.
L’enthousiasme que je ressentais pour l’escalade me paraissait loin et sans plaisir. Peut-être que c'était mon anxiété qui parlait, mais je remettais en question mes décisions des dernières années. Est-ce que tout en valait la peine? Les deuils, les relations négligées, un doctorat incroyablement prolongé, l'hémorragie de mon compte en banque. Il m'arrive parfois d'être un peu dramatique, mais cette fois-ci, c’était plutôt comme revivre une nouvelle crise existentielle typique des milléniaux. Je voulais vouloir grimper à Yosemite, voyager seule et aimer l'escalade. Et pourtant, je redoutais toutes ces choses. Je n'arrivais pas à me faire confiance pour prendre des décisions sûres, j'avais peur d'aller rencontrer des étrangers et trouver des partenaires d'escalade.
À la place de suivre mon plan initial, je suis retournée vers l'est, à Indian Creek et je me suis laissé emporter par le rythme des traversées de ruisseaux, des approches qui frôlent les fleurs violettes et la roche de grès où je retrouvais le goût d’essayer fort. Les semaines suivantes se sont écoulées dans un flou de party de danse, de soirées cinéma et d'escalade de roche. Je commençais à me sentir à nouveau forte et confiante (principalement grâce à ma chère amie Layla et à son esprit inépuisablement inspirant) et j'avais hâte de me diriger vers l'ouest. Après mon arrivée à Squamish, j'ai retrouvé des rythmes familiers, une communauté extraordinaire et de l’escalade de granit de classe mondiale. J'étais motivée et je me sentais plus compétente que jamais. Pour ma fête, Nat m'a assuré sur le Grand Wall. L'ayant grimpé deux ans auparavant et ignorant comment grimper en fissure, je m'attendais au pire. C'était finalement du pur plaisir de Type 1. Rapidement, mon attention s’est retournée vers la liste que Cassy et moi n'avions jamais pu terminer.
Entrer la phase de l'Oracle : une ligne épicée, ultra-classique et entièrement démunie de plaquettes. L'Oracle tombe en plein milieu de la falaise Quercus qui se dresse seule dans une clairière. C’est une belle ligne errante protégée par des fissures angulaires discontinues sur un mur vertical. La voie commence par de l’escalade facile et non protégée, suivis de mouvements techniques sur des side pulls et des réglettes, deux crux distincts et quelques repos complets. Les protections sont délicates, avec des placements difficiles et particuliers qui donnent une réputation dangereuse à cette voie et une réussite impressionnante à flasher.
Après quelques séances en moulinette, je suis passée de «Ouf, je ne pourrai jamais leader ça» à «OK, les crux sont durs pour moi, mais je pense que je peux me débrouiller en toute sécurité». J'avais travaillé les protections, y compris les quatre coinceurs qui protègent la section du bas quand j'ai réussi à trouver une pièce pour le deuxième crux qui n'était pas super physique à placer. J'ai passé une bonne partie de ces séances à trouver des séquences adaptées à ma taille.
Enfin, j'étais prête à commencer à simuler grimper la voie en tête. Mais, cette journée où j'étais déterminée à enchaîner en moulinette, j’ai glissé et tombé dans les besoins d'un・e randonneur・euse. Au lieu de grimper, je me suis retrouvée à laver mes souliers au camping (qui ont également été volés quelques jours plus tard, mais le ou la coupable ignorait que je ne les avais pas très bien lavés!). J'y suis retourné le lendemain. Hésitante à installer une moulinette, j'ai fini par grimper en tête dans un léger brouillard qui s'est transformé en pluie. Je suis tombée aux deux crux, mais je me suis surprise à me sentir calme et dans un flow de mouvements en sachant exactement où se trouveraient mes prochains placements. Les sections où les placements sont éloignés étaient effrayantes à cause de l'humidité, mais je savais aussi que je pouvais me protéger en grimpant bien, en prenant mon temps et en respirant. Le seul grand point d'interrogation restait le deuxième crux—un mouvement puissant où mes pieds continuaient à glisser sur de petites prises.
Je suis revenu à l'Oracle six fois en deux semaines pour donner des tentatives en tête. Je continuais à grimper jusqu'au deuxième crux, je tombais, puis je grimpais jusqu'à l’ancrage. La voie ne m’intimidait plus, mais je me sentais plutôt frustrée de ne pas arriver à enchaîner—je la connaissais bien, je gérais ma peur par la respiration, je me concentrais sur mon jeu de pieds, je divisais l'ascension en petites sections. Mais, je ne savais pas comment enchaîner le tout! Je n'arrivais pas à trouver le facteur X qui me permettrait de clipper l’ancrage. Je me disais que tant que je continuerais à me présenter et à m’essayer, je finirais par enchaîner... N'est-ce pas ?
Lors d'une de mes tentatives, j'ai réussi à enchaîner le deuxième crux, mais mon pied a glissé avant que je puisse placer mon prochain coinceur. Je me trouvais à quelques mètres au-dessus de ma dernière protection et la corde s'est retrouvée derrière ma jambe. J’ai pris une sacrée faucheuse en tombant. Pendant que je tombais, j'ai réussi à m'orienter par rapport au mur et j'ai pu éviter que ma tête se heurte contre la paroi (heureusement, je portais aussi mon casque!). J'étais en sécurité, mais un peu secouée, et je savais que si j'attendais trop longtemps avant de reprendre la voie, j’allais paniquer. Je suis donc remontée immédiatement et j'ai grimpé la fin de la voie, en faisant beaucoup plus d'efforts pour rester calme et maintenir mon rythme cardiaque.
Le jour où j'ai enchaîné, je n'avais pas vraiment d'attente lorsque j'ai commencé la voie, m'attendant à retomber au deuxième crux. À ma grande surprise, j'ai tenu la prise du crux sans que mon pied glisse, et je me suis soudainement retrouvée à un pas de la chute effrayante. J'étais à la fois incrédule et terrifiée. J'avais finalement réussi à enchaîner le pire de la voie et je savais que je devais rester calme pour ne pas tout gâcher. Encore une fois, j'ai divisé les séquences en plus petites sections. J’ai grimpé tout en tremblant, mais en me concentrant sur mon jeu de pieds et en gérant la pompe de peur. L'instant suivant, je clippais l’ancrage et j'avais réussi mon premier 5.12 en trad.
Une chose que l'on m'a dite et que je me suis répétée tout au long de ce processus, c'est qu'il fallait que je continue à me présenter. Si je continuais à me présenter, même si je n'en avais pas envie ou que j'avais l'impression que ça ne servait à rien, un jour, j’allais enchaîner. L’Oracle, c’est la première voie que j'ai vraiment apprise à connaître: ses subtilités, son rythme et son flow. J'ai vraiment apprécié ce processus et j'ai beaucoup appris sur moi-même concernant ma façon d’approcher la peur, la frustration et l'échec. Je me suis sentie inspirée, motivée et j'ai repoussé le récit interne selon lequel je n'étais pas assez forte ou courageuse. J'ai appris à respirer et à bouger avec ma peur, en l’acceptant et en travaillant plutôt qu'en la combattant. J'ai appris que je savais reconnaître et évaluer les risques. Cette voie représente beaucoup pour moi—elle m'a permis de me sentir proche de Cassy, de me sentir courageuse et d'être enthousiaste à l'idée de grimper. Je suis reconnaissante d'avoir eu une personne qui m'a inspirée si profondément à essayer quelque chose que je pensais être hors de ma portée. Cass était infatigable dans sa façon de toujours se pointer. Je m'en tiens donc à ce mantra pour le reste de l'été, et que j'enchaine ou non la prochaine voie sur la liste, je sais que de bonnes choses viendront.