Lorsqu’on est passionné·e d’escalade, il est normal, comme dans tout sport, de vouloir se donner à 110%.
Heureusement, il existe une échelle de cotation qui permet de quantifier précisément son progrès, mais c’est un outil qu’on doit manier avec prudence.
S’identifier trop aux cotes peut avoir comme résultat de créer des attentes envers nous-mêmes, et parfois envers les autres. C’est aussi courir le risque de ressentir un sentiment d’imposteur lorsque nos attentes ne sont pas atteintes.
Ce sentiment de « devoir » réussir une cote n’est étranger à personne qui grimpe depuis un certain moment, mais il n’est pas vécu de la même manière par tous·te·s. En travaillant dans un centre d’escalade, par exemple, cette impression peut être décuplée, car on s’imagine représenter le gym, et donc « devoir » grimper fort. En choisissant cet emploi, on accepte aussi de devenir un visage familier pour ceux·elles qui fréquentent le centre. Cela ne pose généralement pas de problème, sauf dans certains cas bien précis.
Alors qu’une de mes collègues s’affairait à grimper, un autre grimpeur l’a vu tomber sur une V4. Il est venu l’interpeller pour lui faire un commentaire sur son niveau d’escalade. Suite à cet événement, elle s’est mise à douter de ses capacités et à se sentir comme si les gens avaient des attentes envers elle. C’est cet événement hors du commun qui m’a poussé à échanger avec mes collègues pour en apprendre davantage sur leurs expériences, leurs opinions et leurs conseils.
En grande majorité, mes collègues au Café Bloc ressentent ou perçoivent une forme de pression de performer lors de leurs sessions d’escalade. Certaines me partagent qu’elles la ressentent dans les sports en général, un milieu où les femmes sont souvent moins bien représentées.
« Je pense qu’il y a une pression en général dans le sport et dans le plein air qui sont des milieux très masculins. C’est une pression de se prouver et de performer quand on n’est pas un homme-cis », partage Raÿla. Cette pression est ensuite amplifiée lorsqu’on travaille dans un centre d’escalade, « Aussi, en travaillant au Café Bloc, on dirait que les gens s’attendent à quelque chose et certain·e·s se permettent d’avoir des préjugés, et des fois même ils ou elles vont l’exprimer : tu grimpes justes ça ? », élabore-t-elle.
D’autres me partagent leurs expériences négatives avec des inconnus : « Je ne ressentais pas nécessairement de pression, mais je voyais celle que les autres pouvaient me mettre. Il a eu un incident où un grimpeur qui me parlait m’a demandé quel niveau je grimpais. Je lui ai dit V4 et il m’a répondu ‘C’est pas assez fort. Tu travailles ici, mais tu grimpes juste V4.... Tu devrais grimper plus fort’ » explique Marianne.
Pour Marin, la pression augmente lorsqu’il grimpe avec des gens qu’il connaît : « Travailler ici nous met une étiquette, donc je m’imagine que je dois nécessairement bien grimper. Alors, quand je tombe, par exemple, sur une V4, je vais me sentir jugé, surtout si c’est des gens que je connais. »
Pour une partie de mes collègues, la possibilité d’être reconnu dans d’autres gyms peut être un facteur de stress.
C’est le cas d’Andy qui travaille depuis environ trois ans dans le milieu de l’escalade et qui rapporte que : « Ce qui va me mettre de la pression, c’est si je vais à un endroit où les gens me connaissent déjà et qu’elles et ils ont une image préconçue de mon escalade. » C’est le même son de cloche chez Valeria qui raconte son expérience dans un autre gym : « Cette journée-là, je ne me sentais pas en forme parce que je n’avais pas grimpé depuis longtemps. Je me disais “ oh non, mais qu’est-ce que les gens vont penser ” alors qu’elles et ils s’en foutent sûrement, c’est surtout dans ta tête que ça joue. »
C’est un sentiment qui peut aussi être vécu lorsqu’on grimpe à l’extérieur comme le raconte Marilee. « Il y a deux ans, je suis parti grimper à Canmore et Squamish. Émotionnellement, j’ai trouvé l’escalade difficile, je pleurais dans mes voies, j’avais peur et je n’avais aucun plaisir. Plus j’avais peur, plus je me mettais de pression. Je me sentais comme si je n’avais pas le droit de me définir comme grimpeuse ou de partager des photos de moi qui grimpe. J’ai tout remis en question. Est-ce que j’aime même l’escalade ? Est-ce que je peux même me définir en tant de grimpeuse ? »
Mes collègues m’ont aussi partagé quelques conseils pour diminuer le sentiment d’imposteur tout en améliorant l’atmosphère dans un gym d’escalade.
« Les gens devraient te demander si tu veux de l’aide plutôt que donner du beta non sollicité et arrêter de faire un problème devant toi juste pour montrer qu’elles ou ils sont capables. Souvent, je veux juste trouver la solution par moi-même. Au contraire, je trouve que les encouragements amènent vraiment une bonne ambiance dans le gym, même si ça peut être un peu stressant. Ça amène un aspect communautaire », me confie Marianne.
Pour Félix : « Toute cette pression peut être accentuée par des cliques qui peuvent se créer. Tout le monde en profiterait si les gens échangeaient entre eux peu importe la cote qu’elles ou ils grimpent. » Marilee s’attarde aussi sur l’importance des échanges. « Ce qui m’aide beaucoup, c’est d’en parler. Je suis loin d’être la seule à me sentir comme ça. Il faut surtout en rire et grimper avec des personnes avec qui tu te sens bien. »
« Au final, on est tous lié·e·s par la même passion, et ça, selon moi, ça devrait être le seul critère pour se sentir valide dans notre communauté. » ⎯ Marilee
Alors qu’on se retrouve face à soi-même sur le mur, il peut être difficile de faire abstraction des gens qui se trouvent derrière, attendant leur tour pour s’exécuter sur les prises. Vu de l’extérieur, cette scène peut presque prendre la forme d’un spectacle, d’une performance où l’on serait l’artiste qui performe devant un public. En ajoutant à ses propres attentes celles d’un hypothétique auditoire, l’atmosphère peut devenir étouffante. Ce serait cependant d’oublier que chaque personne est motivée par des objectifs et une volonté de se dépasser, ou tout simplement d’avoir du plaisir (et c’est le plus important!).
Au final, le niveau de pression que l’on peut ressentir dépendra beaucoup de l’attitude des grimpeur·euse·s qui nous entourent.
D’où l’importance d’adopter des comportements bienveillants qui auront pour effet d’améliorer l’atmosphère dans les centres d’escalade et de rendre ce sport que nous aimons toujours plus inclusif.