Je m'appelle Nat. J'ai été ouvreur cet hiver au Café Bloc. Vous trouverez ci-dessous une version traduite (merci Sarah) d'un article que j'ai écrit sur la Cobra Crack en mai 2023.
La Cobra Crack est une fissure à doigts d'une seule longueur à Squamish, en Colombie-Britannique. Située à l'écart des foules estivales, sur la face arrière du Chief, c'est une ligne singulière qui s'élance le haut d’un rocher, par ailleurs, dépourvu de toute caractéristique. Sonnie Trotter, le premier ascensionniste, l'a décrite comme «de loin, la meilleure roche que j'ai jamais grimpée». Je suis d'accord.
Ce fut un plaisir de travailler et de s'entraîner au Café Bloc l’hiver dernier. Je me souviens avec émotion de la communauté soudée, du style vestimentaire incomparable des salles d'escalade de Montréal et des fameux churros qui se trouvent en face du gym.
Veuillez considérer ceci comme un remerciement sincère au personnel et aux clients pour avoir supporté mon côté côte ouest «je ne parle pas français». Qu'il s'agisse d'un problème au gym ou d'une voie d'escalade à l'extérieur, j'espère que vous aurez l'occasion de vivre le sentiment qu'on ressent lorsqu'on est complètement immergé dans ce métier. C'est un vrai bonheur.
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Au printemps 2018, je suis à Canmore, en Alberta, où je garde la maison d’un ami. Avec quelques ami・e・s, nous sommes réuni・e・s autour de la table de cuisine, buvant des bières trouvées dans le frigo et regardant Cracking Cobra, la vidéo d'Eliza Earle mettant en scène Mason Earle qui grimpe la Cobra Crack. Du haut de mes dix-huit ans, un peu buzzé et tout juste revenu de mon premier voyage d'escalade, je dis à mon ami Luke que « j'allais vivre à Squamish jusqu'à ce que je fasse la Cobra Crack ». J'avais grimpé une seule 5.12 en sport et une 5.11 en trad. J'ai déménagé à Squamish le printemps suivant et le jour de mon arrivée, je me suis immédiatement rendu jusqu'à la Cobra sous une pluie battante. Je l’ai oublié quelques jours plus tard, après avoir fait une chute de 30 pieds dans la deuxième longueur 5.10b d'Angel's Crest. J'ai essayé la Cobra quelques saisons plus tard, en 2020, et je m'y suis consacré à partir de 2021.
Bon, nous sommes rendu・e・s au printemps 2023. J'ai vingt-trois ans et j'écris ces lignes dans un coin tranquille d’une salle d'escalade de Squamish. Après deux ans et demi de travail et probablement soixante tentatives, j'ai grimpé la Cobra Crack. J'essaie ainsi de faire le point sur ces quelques minutes d’ascension et du processus des dernières années.
Je me suis longtemps demandé comment j’allais me sentir lorsque j’allais finalement enchaîner ce projet. Je pensais que ça allait feeler désespéré jusqu’à l'enchaînement, et honnêtement, je pensais trouver ça valorisant. Vraiment, vraiment, valorisant. Je veux dire, c'est la fucking Cobra Crack. Toutefois, lorsque le moment tant attendu, tant espéré, redouté et apparemment héroïque de l'enchaînement est arrivé, ce fut très différent.
C'était loin d'être aussi épique que ce que j'avais imaginé. Je suppose que c'est logique. Au fil d'une soixantaine de tentatives (et d'une vingtaine de one-hang), la voie avait été décomposée et reconstruite. C'était plus ou moins comme n'importe quelle autre tentative d’enchaînement, mais avec plus de fluidité. La dernière tentative a été la touche finale d'un iceberg de processus: à quel point est-ce que ça pouvait être différent?
C'est le projet le plus long de ma vie et un terrain inconnu pour moi: je n'ai jamais achevé un processus académique ou tout autre projet créatif d'envergure. En escalade (et j’imagine dans la vie en général), nous mettons l'accent sur les fins. Ce n'est pas pour rien que je n'ai pas écrit sur les choses que j'ai failli faire durant la dernière année. Il y a une raison pour laquelle j'écris tout ça maintenant. Je suppose qu'on ne présente pas une peinture tant qu’elle n'est pas terminée. Peut-être que le dernier coup de pinceau est important, mais pas plus que les autres.
C’est étrange qu'une fois un événement terminé, on est parfois frappé∙e∙s par une brève vague de clarté. Avec cette clarté, j'ai vu des regrets. J'ai vu de la gratitude. J'ai vu des parties moches de moi-même et des parties de moi-même dont je suis assez satisfait. Cette fois-ci, je vois beaucoup de gratitude. Je vois un rappel clair et net qu'une fois que quelque chose est terminé, c'est vraiment terminé. La validation n'est pas aussi douce qu’on peut le penser. Écrire son nom sur un morceau de bois est aussi stupide que ça en a l'air.
Ainsi, tout ce qu’il reste, ce sont les moments, et il y a en a tellement eu de beaux durant ce voyage. J'étais profondément, profondément amoureux de la Cobra Crack, et je le vois clairement aujourd'hui.
C'est pourquoi je mettrai l’accent sur le processus avant de vomir verbalement ce que j'ai ressenti lorsque j'ai enchaîné la voie. Il est impossible d’expliquer la signification d'un processus aussi immense. Si vous avez le privilège, le temps et la motivation, je vous recommande fortement de vous lancer dans un rêve et de le découvrir par vous-même. Je vous partage quelques-une de mes pensées aléatoires:
Dans tous les cas, lorsque j'ai finalement enchaîné, je ne me suis pas senti très différent de tous mes autres essais. J'étais dans le flow, plus présent que je ne l'avais jamais été. Lorsque j'ai franchi le gros de la voie, j'étais convaincu que je m'étais assis dans la corde à un moment et que je n'étais pas en train d’enchaîner.
Lorsque j'ai atteint le sommet, j'ai voulu ressentir de la joie, j'ai essayé de ressentir de la joie, mais je n'en ai pas ressenti. J'ai ressenti une sorte de lourdeur réconfortante, comme une grosse couverture par une nuit froide. Lorsque j'ai atteint le sommet, j'ai pensé à Stu, mon gourou et mon premier ami dans cette aventure, et j'ai ressenti une immense gratitude envers la Cobra Crack de nous avoir réunis. J'ai pensé à mes ami∙e∙s au pied de la paroi, qui m'applaudissaient avec enthousiasme. J'ai pensé à toutes les personnes avec qui j'avais partagé cette falaise durant les dernières saisons et j'étais heureux que ça ne se soit pas produit plus tôt. J'ai pensé au voyage complètement fou que j'avais vécu et à la beauté qu’il ne soit pas éternel. Tout ça s'est traduit par des larmes et des «what the fuck» à répétition, en essayant de comprendre ce qui venait de se passer.
En descendant, je me sentais heureux en périphérie, mais surtout, je me retrouvais dans le brouillard de ce qui venait de se produire. C'était comme si je me réveillais d'un rêve où j'avais enchaîné la voie, et que j'étais encore couché dans mon lit en me demandant si c'était vraiment arrivé. Mes ami・e・s ont été généreux・euse・s avec leurs félicitations et je les entendais, mais je n’arrivais pas à ressentir leurs mots. Tout ce que je pouvais faire, c'était fumer en chaîne et secouer ma tête en riant. J'ai écrit mon nom sur le fameux panneau, juste en dessous de celui de Stu (j'aurais aimé que Travis puisse voir ça, Stu, il aurait été TELLEMENT excité de voir nos noms l’un à la suite de l’autre, et peut-être même un peu énervé que nous l’avions signé). Pourtant, j'avais l'impression d'avoir regardé une autre personne grimper la voie, et maintenant cette personne suivait le rituel au pied de la falaise.
Je suis tellement reconnaissant pour ce chapitre de ma vie, et pour tout ce qui va suivre.
La Cobra Crack – comme toutes les bonnes choses de la vie – est certainement quelque chose à expérimenter et non à consommer.
Ce ne sera pas linéaire, mais j'essaierai de garder ça à l'esprit.
Avant de descendre, j'ai regardé la voie et j'ai pensé aux paroles d'Elliot Smith : «Ce n'est pas ma vie, c'est juste un adieu à un ami.»